La surprenante Enallagma anna...


Apparemment il n'y a rien pour arrêter l'avancée de ce zigoptère dans le nord-est de l'Amérique du Nord. C'est le constat que nous avons fait le 16 juillet dernier alors que nous avons repéré et capturé deux individus de cette espèce dans un milieu tout à fait particulier. 

Site d'observation de l'Agrion d'Anna - 10 mètres en amont du pont - parc des Grands-Jardins - secteur Lac Arthabaska

C'est dans le parc des Grands-Jardins que nous avons eu la surprise, et même la très grande surprise, de capturer un mâle et une femelle Enallagma anna. Une présence tout à fait inattendue dans ce milieu de type boréal et sub-arctique où il est plus probable de rencontrer un caribou qu'un Enallagma anna.

L'endroit de la découverte est un ruisseau au cours lent avec quelques plantes aquatiques qui effleurent la surface de l'eau. Ce type d'habitat nous a rappelé l'endroit où nous avions découvert un site de ponte dans le secteur d'Irlande (en Chaudières-Appalaches) le 31 juillet 2016.

Agrion d'Anna - River Bluet - Enallagama anna - mâle

Agrion d'Anna - River Bluet - Enallagama anna - mâle

Agrion d'Anna - River Bluet - Enallagama anna - femelle

Amis de la région de Saguenay et du Lac Saint-Jean soyez aux aguets; l'espèce a peut-être déjà colonisé votre secteur.


Maurice Raymond
Guy Lemelin
Peter Lane
Alain Côté

Printemps 2018 - secteur Bécancour

Gomphe fourchu - Lylipad Clubtail - Arigomphus furcifer - femelle - Wôlinak

   La rivière Bécancour, qui coule à proximité du village de Wôlinak, s'avère être un secteur très productif pour la découverte de l'odonatofaune locale.  Les multiples étangs, vestiges de l'ancien lit de la rivière Bécancour, sont visités par plusieurs espèces dont certaines pour le moins surprenantes.

Notre cavale dans le secteur a débuté le 10 juin dernier. Après avoir noté plusieurs espèces communes quelle ne fut pas notre surprise de capturer une femelle Gomphe fourchu (Arigomphus furcifer); une  première dans le centre du Québec. C'est une espèce généralement observée en Outaouais et en Estrie et elle nous permet d'entrevoir les multiples autres possibilités du secteur de Bécancour.

Une autre découverte très intéressante a été celle d'une femelle Aeschne pygmée (Gomphaeschna furcillata); une espèce de tourbière en situation précaire au Québec. Les naïades ayant quitter le milieu aquatique pour devenir des insectes ailés peuvent parfois se retrouver assez loin de leur lieu d'émergence pour se nourrir et maturer. Une fois adulte ils y retourneront pour la période de reproduction. Il est fort à parier que la Réserve Naturelle Léon-Provencher située tout près est son lieu d'origine. Ce secteur reste cependant à investiguer; la tourbière située au coeur de la réserve étant un milieu extrêmement difficile d'accès.

Fort de ces découvertes nous sommes retournés dans le même secteur le week-end suivant. Notre périple a commencé du côté ouest de la rivière Bécancour à l'extrémité de l'Avenue de l'anse. La présence de Gomphaeschna furcillata à cet endroit a été pour le moins surprenante avec la capture d'un mâle et  d'une femelle; cette dernière posée sur un tronc d'arbre alors que le mâle a été pris au filet. Une capture subséquente d'une autre femelle à Wôlinak, combinée à celle d'un mâle Leucorrhinia glacialis, démontre le potentiel de la tourbière de la Réserve Naturelle Léon-Provencher pour ces espèces typiques des milieux tourbeux.



Aeschne pygmée - Harlequin Darner - Gomphaeschna furcillata - Bécancour

Notre retour à Wôlinak se fait en grande pompe alors que nous découvrons la présence d'une population d'Arigomphus furcifer dans un des étangs; mais la capture d'un mâle Arigomphus cornutus au même endroit nous a agréablement surpris! Toutefois, Arigomphus cornutus est une espèce déjà connue dans la grande région du lac Saint-Pierre et sa présence était en quelque sorte prévisible.


Gomphe cornu - Horned Clubtail - Arigomphus cornutus - mâle - Wôlinak

Gomphe fourchu - Lylipad Clubtail - Arigomphus furcifer - mâle - Wôlinak

Gomphe cornu - Horned Clubtail - Arigomphus cornutus - mâle - Wôlinak

Gomphe fourchu - Lylipad Clubtail - Arigomphus furcifer - mâle - Wôlinak

Gomphe cornu - Horned Clubtail - Arigomphus cornutus - mâle - Wôlinak


Comparaison d'un Gomphe fourchu mâle (à gauche) et d'un Gomphe cornu mâle (à droite)

Le dernier ajout digne de mention concerne un zygoptère; Enallagma antennatum. Une très jolie espèce qui était répertoriée au plus près dans la partie sud-ouest du lac Saint-Pierre. Sa découverte du côté de Bécancour n'était qu'une question de temps.


Agrion arc-en-ciel - Rainbow Bluet - Enallagma antennatun - mâle

Dans le cadre de l'Initiative pour un Atlas des libellules du Québec, nous sommes passé de 23 espèces jadis répertoriées dans la région du centre du Québec à 66! C'est tout un bond mais il faut dire que cette région n'avait jamais reçu beaucoup d'attention des naturalistes dans le passé concernant son odonatofaune.


Alain Côté
Peter Lane
Guy Lemelin
Maurice Raymond



3 juin - Découverte d'une population de Nannothemis bella à Québec

La rumeur voulant qu'il y ait présence de l'Elfe (Nannothemis bella) tout près de chez moi s'est matérialisée en cet après-midi du 3 juin 2018 avec l'observation d'une douzaine d'individus. C'est une observation fort intéressante dans le cadre de l'Initiative pour un Atlas des Libellules du Québec car il s'agit d'une espèce rarement signalée dans la région de la Capitale Nationale; la dernière mention remontant à 1954 dans le secteur de Neuville. L'endroit de la découverte a aussi de quoi surprendre; un bassin de rétention d'eau situé en plein quartier résidentiel.


Étang de rétention dans un quartier résidentiel

Étang de rétention dans un quartier résidentiel


C'est après que Maurice eut remarqué une photo d'Elfe possiblement photographié à Québec et paru à MétéoMedia en septembre 2017 qu'est partie cette rumeur. Malgré les efforts, les tentatives pour remonter jusqu'au photographe furent vaines. De toute façon nous n'allions pas laisser passer une telle occasion si près de chez nous.

C'est vers 13h15 que Maurice et moi arrivons au bassin de rétention. Maurice en est déjà à sa troisième visite à cet endroit et m'a déjà fait part des quantités d'Amphiagrion saucium qu'il y a observé. Nous ne tardons pas à en découvrir encore plusieurs lorsque tout à coup Maurice s'écrie; nanno, j'ai une nanno! Je n'en crois pas mes oreilles et je m'approche rapidement pour voir cette mini libellule, d'ailleurs la plus petite en Amérique du Nord, dans son filet.

Après les photos d'usage, nous explorons méticuleusement le secteur et en retrouvons sept autres pour un total de huit. Leurs ailes luisantes ne laissent aucun doutes qu'il s'agit, pour la plupart, d'individus ténéraux ayant quittés leur exuvie depuis à peine quelques heures. Un peu plus loin il y a un deuxième bassin de rétention où nous en observerons au moins quatre autres pour un grand total de douze.


Elfe - Elfin Skimmer - Nannothemis bella

Elfe - Elfin Skimmer - Nannothemis bella


Il est évident que je ne regarderai plus jamais un bassin de rétention de la même façon!

 

Espèces notées:

40 Amphiagrion saucium
12 Nanothemis bella



Maurice Raymond
Alain Côté
Peter Lane

Population relique de l'Aeschne septentrionale (Azure Darner, Aeshna septentrionalis) dans le parc national des Grands-Jardins


Aeschne septentrionale - Azure Darner - Aeshna septentrionalis - parc national des Grands-Jardins - 2 juillet 2017

Le 2 juillet au petit matin nous avons pris la route en direction du parc national des Grands-Jardins pour recenser les différentes espèces de libellules dans la tourbière située entre les lacs à Jack et Malbaie. L'endroit étant difficile d'accès (lire le blog du 6 juillet dernier pour en savoir plus), nous avons dû fournir plusieurs efforts avant d'atteindre notre destination. Mais ceux-ci ne furent pas en vain car c'est lors de cette expédition que nous avons découvert une population de l'Aeschne septentrionale (Azure Darner - Aeshna septentrionalis) à cet endroit. Cette découverte, tant inattendue qu'insoupçonnée, est le moment marquant de l'été 2017.

Un des secteurs où nous avons découvert l'Aeschne septentrionale. Un endroit parsemé de chicots de conifères séchés. Les plus pâles, ceux qui n'ont plus d'écorces, sont des endroits de prédilection où aime se poser cette libellule.

Aeschne septentrionale - Azure Darner - Aeshna septentrionalis - parc national des Grands-Jardins - 2 juillet 2017 - Un perchoir de prédilection pour cette aeschne.
 
C'est sous une matinée ensoleillée, puis parsemée d'averses en après-midi, que nous avons fait notre premier inventaire. Nous avons été surpris par nos premières captures d'Aeshna septentrionalis en les confondant d'abord avec l'Aeschne à zigzags (Aeshna sitchensis). Ce sont deux espèces qui se ressemblent au point de s'y méprendre en raison des motifs quasi identiques sur leurs abdomens et leurs thorax. L'analyse de photographies prisent sur le terrain nous a par la suite confirmé qu'il s'agissait bien d'Aeshna septentrionalis, une espèce fort surprenante sous nos latitudes sudistes.


Aeschne septentrionale - Azure Darner - Aeshna septentrionalis - parc national des Grands-Jardins - 2 juillet 2017

Aeschne septentrionale - Azure Darner - Aeshna septentrionalis - parc national des Grands-Jardins - 2 juillet 2017

Suite à cette première journée, nous avons fait quelques visites supplémentaires qui nous ont permis d'observer et photographier plusieurs autres individus de cette même espèce. Étonnamment, nous n'avons notés que des mâles lors de nos cinq inventaires. Aucune femelle. Bien que certainement présentent, elles sont demeurées bien discrètes lors de nos visites. Voici d'ailleurs un bref résumé du nombres d'individus que nous avons recensés en 2017:

  • 2 mâles adultes le 2 juillet
  • 3 mâles adultes le 17 juillet
  • 6 mâles adultes le 20 juillet
  • 1 mâle adulte le 30 juillet
  • aucun individu le 21 août

Au Québec, Aeshna septentrionalis est une espèce dont l'aire de répartition principale s'étend bien au delà du 50ième parallèle en zone boréale (réf. Atlas préliminaires des libellules du Québec). Elle est aussi la seule du genre à se retrouver en zone arctique près du 60ième parallèle, notamment le long des côtes de la baie d'Ungava (réf. Dragonflies and Damselflies of the East, Dennis Paulson) (références sur les zones climatiques). Quant à la population du parc national des Grands-Jardins, elle est tout à fait exceptionnelle de par son emplacement à l'échelle du continent nord-américain. D'un point de vue latitudinal elle est jusqu'à preuve du contraire la population la plus méridionale en Amérique du nord détrônant celle de l'Alberta qui se trouve près du 50ième parallèle.

Ce qui semble préoccupant avec la population du parc, c'est qu'elle apparaît très circonscrite à l'intérieur même de la tourbière et ne semble pas occuper au maximum les quelques 2,25 kilomètres carré de superficie disponibles. Toutes les observations ont été faites à l'intérieur d'un périmètre qui s'étend sur environ 300 X 700 mètres représentant à peine 9% de la superficie totale. Les exigences environnementales d'Aeshna septentrionalis se retrouvent certainement dans cette parcelle d'habitat, portant à croire qu'il s'agit de la niche écologique de cette espèce. Toutefois, qu'elles en sont les véritables paramètres demeure un mystère.

Le statut de "zone de conservation extrême" de la tourbière réticulée du Lac des Soixante-Six assure actuellement l'intégrité de cet habitat particulier. Il s'agit d'un statut fort important car le moindre bouleversement ou harnachement de cet écosystème pourrait à jamais compromettre la survie de cette population isolée représentant une espèce relique dans le parc national des Grands-Jardins.

Pour en savoir davantage sur ce secteur, je vous invite aussi à consulter l'excellent document soumit par Guy Lemelin et que l'on retrouve sur le site Entomofaune du Québec.

Saviez-vous que ?

Malgré sa position géographique à la hauteur du 47ième parallèle, le parc national des Grands-Jardins est sous l'influence d'un climat boréal et subarctique. Son élévation générale explique cette réalité. Pour cette raison on y retrouve des zones de pessière à lichen, un biotope que l'on rencontre habituellement au-delà du 52ième parallèle, soit près de 500 kilomètres au nord du parc! (réf. SÉPAQ) Reposant à plus de 800 mètres d'élévation, la tourbière nommée lac des Soixante-Six est caractérisée par des températures estivales plutôt fraîches variant entre 10 et 22 degrés Celsius (réf. NORDICANA D) (réf. MDELLCC) et des conditions météorologiques imprévisibles la plupart du temps.


Alain Côté
Guy Lemelin
Maurice Raymond